Après avoir vécu des années et bien des aventures dans des royaumes étrangers, Able écrit une longue lettre à son frère pour lui conter ses exploits. Mais, comme toujours chez Gene Wolfe, un récit n’est pas les faits, mais une vision des faits ; la personnalité du narrateur, et notamment son désir de devenir chevalier, imprègne tout ce roman et lui donne son ton si particulier. Plongeant sans trop se poser de questions dans ces mondes emplis de créatures magiques et de lieux fantastiques, il multiplie les aventures et les rencontres étonnantes ou déroutantes, nous entrainant toujours plus loin dans cet univers mystérieux. Car Wolfe évite avec brio l’écueil qui guette beaucoup d’auteurs de Fantasy, tellement désireux de proposer un monde «crédible» qu’ils l’expliquent et le justifient tant qu’ils le vident de toute magie. Mais ici, on est dans l’aventure onirique, la quête mythique, le conte initiatique ; dans la Fantasy dans ce qu’elle a de plus pur. La magie et le merveilleux sont l’essence même de cet univers, pas une de ses composantes. Nul besoin alors de cartes, d’arbres généalogiques, de système de magie ou de traités historiques. Ce monde EST, tout simplement.
Insérant une bonne dose de réalisme et d’humanité dans sa quête, Hambly n’en oublie pas pour autant le merveilleux ; ses dragons sont absolument fascinants, et son Fendragon, s’il est loin des chevaliers des ballades, n’en reste pas mins courageux. Mais plus que leurs exploits, ce sont les sentiments des personnages qui constituent le cœur de ce récit, de l’amour contrarié de Jenny pour John et la Magie aux tourments du jeune prince Gareth, pris dans les terribles filets d’une sorcière manipulatrice, en passant bien sûr par les étranges pensées de Morkeleb, dragon dont la compréhension dépasse celle des humains. Sans oublier, bien sûr, un second degré salutaire qui permet définitivement à ce roman de sonner « vrai » tout en étant indéniablement empli de fantasy.
Un ennemi millénaire qui s’éveille, une princesse rebelle, un ranger, un jeune guerrier et un moine érudit pour héros... Tout semble indiquer qu’on est face à une énième saga d’Heroïc Fantasy basique exploitant des clichés vus et revus. Mais ce serait lourdement se fourvoyer que de prendre la série de Greg Keyes pour un aspirant bestseller sans âme. Usant au mieux des grands talents de conteur de son auteur, cette saga épique des Royaumes d’épines et d’os sublime son classicisme apparent, respecte les codes de la fantasy sans tomber dans ses clichés. Riches en mystères et en développements inattendus, pleine de combats sanglants, d’intrigues de cour, de races anciennes et de magie étrange, elle contient tous les ingrédients nécessaires à rassasier l’amateur du genre, assaisonnés d’une bonne dose de personnalité.
En nous brossant les portraits des différents protagonistes amenés à jouer un rôle déterminant dans le siège annoncé de la cité de Périmadeia, le malicieux K. J. Parker nous livre une série de Fantasy aux personnages profondément attachants, aux caractères aussi différents que bien développés. Malgré une trame apparemment classique, on est pourtant bien loin des archétypes de la Fantasy épique habituelle, et plus encore grâce à un humour parfaitement dosé et une attention particulière portée à l’artisanat qui renforce cette impression de monde très organique.
Si Brandon Sanderson a toujours brillé par le très grand soin apporté à la création de ses univers, il a su éviter de tomber dans le roman "guide touristique" que nous propose trop souvent l’auteur de Fantasy qui veut absolument nous montrer comme il a bien travaillé. Malgré la grande richesse du monde dans lequel se déroule la trilogie Fils-des-Brumes, ce sont bien l’intrigue et les personnages qui l’animent qui sont au cœur de ces romans. Une intrigue pleine de mystères et de coups de théâtres, où il ne sera étonnamment pas question d’éliminer un Mal ancien pour accomplir une prophétie toute aussi antique ; cette partie de l’histoire a déjà eu lieu. Malheureusement, depuis leur victoire, le héros triomphant et les descendants de ses compagnons règnent en despotes sur des masses totalement asservies. Mais après des siècles d’oppression, la rébellion change de nature : c’est désormais une bande d’escrocs de haut-vol qui va fomenter la chute de l’Empire, forts de leur ruse et surtout de leur maîtrise de l’Allomancie. Car cette magie aux règles complexes, et c’est bien là le génie de Sanderson, ne va pas servir une quête, mais une Révolution.
Regardez autour de vous. Les livres, les étagères, les murs, ce texte, bref ce monde, comme tous les mondes existants, n’est qu’une des émanations, des reflets d’Ambre, unique réalité véritable. Oui oui, vous aussi. Et seuls les immortels membres de la famille royale d’Ambre peuvent naviguer à volonté entre ces ombres. Des possibilités infinies s’offrent à eux, à travers des myriades de mondes ; pourtant, bel exemple d’unité familiale, ils partagent tous la même obsession : éliminer leurs frères et s’asseoir sur le trône d’Ambre...
Cycle majeur du géant Roger Zelazny, Ambre traite comme souvent chez lui de mythologie et d’immortalité, mais son ampleur, son univers, son fonctionnement, sa magie et ses personnages, notamment bien sûr les fameux Princes, en font une série à part dans son œuvre, et même dans la fantasy en général. Une profonde originalité encore soulignée par l’ironie mordante du narrateur.
Depuis qu’ils ont réduit les Dieux en esclavage, le clan Arameris règne sur le monde. Mais si la puissance de ses serviteurs maintient les menaces extérieures à l’écart, elle ne peut le protéger des manigances et des cabales ourdies par ses propres membres... Dieux asservis, nobles, démons, magiciens, tout le monde complote, séduit, trahit dans la capitale des Cent Mille Royaumes. Même Yeine, narratrice du récit et dernière héritière en date de la famille Arameris, devra rapidement entrer dans la danse si elle compte survivre à son séjour au palais. Mais plus que les intrigues de cour, ce sont les jeux et les amours complexes d’un Panthéon déchu qui vont rapidement l’entrainer vers les secrets et les mystères de la mythologie passionnante de ce monde.
Le monde minutieusement crée par David Farland, plein de factions rivales, de royaumes en guerre, de civilisations étranges et de races anciennes aurait déjà largement de quoi séduire l’amateur d’Heroïc Fantasy. Mais le véritable coup de génie de son cycle se trouve dans son système de magie, qui occupe le cœur du récit : les runes permettent ici de s’approprier les traits d’un autre être humain. Mais attention, si l’on peut accepter autant de Dons qu’on le souhaite (jusqu’à être qualifié de «Seigneur des Runes»), on ne peut en donner qu’une seule fois : car le donneur, qui doit être consentant, perd irrémédiablement ce qu’il donne, que ce soit sa force, sa vue ou son charisme, et le receveur devient donc responsable de lui, le don ne perdurant que tant que les deux sont en vie. Et ce ne sont là que les principes de base, dont Farland va explorer toutes les possibilités et les implications de manière aussi ingénieuse que rigoureuse. Du pur bonheur pour les amateurs de magie !